Lunya - article

UNE NOUVELLE DE PENELOPE JOYCE

M. et Mme Clark et Percy . Peinture de David Hockney.

Quand j'étais en troisième ou en seconde, le manuel d'anglais comportait en couverture une reproduction d'un tableau. L'image représentait un homme et une femme face au spectateur, séparés par une fenêtre. Sur les genoux de l'homme, un chat blanc comme du lait regardait par la fenêtre. Au premier plan, un vase de lys, blanc comme le chat, dont les pétales brillaient sous la lumière pénétrant par la fenêtre. Bien que rien dans le tableau ne ressemblât à mon adolescence, j'ai immédiatement eu l'impression de reconnaître la scène. Peut-être était-ce parce qu'il capturait la façon dont la lumière éclaire parfois une pièce, non pas comme des bandes lumineuses de soleil et d'ombre, mais comme une lueur sur les bords des objets. Dans le tableau, l'accoudoir d'un fauteuil, le côté du visage de la femme et le dessus des mains de l'homme rayonnent tous de cette lueur. Les figures semblaient presque faites de lumière, à l'exception d'un élément tactile : les pieds nus de l'homme, luxueusement nichés dans un épais tapis ébouriffé.

Au cours de cette année-là, alors que je transportais ce livre à l'école, ses angles vifs s'émoussèrent et sa couverture plastifiée, désormais couverte d'éraflures, commença à se décoller. Mais le tableau resta, pour moi, lumineux. Sa fascination ne s'est jamais estompée. Chaque fois que je le regardais, il mettait mon cerveau en éveil ; il me procurait une agitation et une incertitude que je ne savais comment nommer. Je voulais le résoudre, comme je pouvais « résoudre » les poèmes de ce même livre, en notant consciencieusement les métaphores et les comparaisons, en comptant les syllabes et en trouvant le sens des rimes. La page des droits d'auteur m'indiquait que l'image de couverture portait un nom, M. et Mme Clark et Percy, et un artiste : David Hockney. Mais cette information ne suffisait pas à apaiser le désir que le tableau me procurait.

M. et Mme Clark et Percy, c'est avant tout une question de lumière ; c'est aussi une question d'immobilité. M. Clark est allongé dans son fauteuil qui semble flotter au-dessus du sol. Mme Clark, droite comme une colonne, la main sur la hanche, ressemble à ce qu'elle est : une femme posant pour un peintre. Même Percy est immobile, son attention captivée par le monde extérieur. L'immobilité du trio se reflète dans divers objets qui les entourent : le vase de lys, projetant une ombre douce sur un livre jaune. Un téléphone, posé par terre à côté d'une lampe. Un tableau dont le cadre doré brille subtilement. Des stores, dont les lames s'illuminent de petits éclats de soleil. Tout ce calme, mais ce tableau m'a toujours donné envie de bouger : de marcher à pas feutrés, de réarranger les lys, de m'appuyer contre la balustrade à peine visible du balcon et de regarder la rue en contrebas. Je voulais pénétrer dans l'univers de ce tableau et en toucher chaque morceau. Je voulais avant tout faire comme M. Clark et plonger mes pieds nus dans cet étonnant tapis.

Je ne manquais pas de tableaux ; ma mère peignait, et même si nous vivions dans une région très rurale, nous allions régulièrement en ville, au musée. Pourquoi cette image, sur la couverture de plus en plus terne d'un manuel scolaire, m'avait-elle interpellée ? Je l'ignore. C'était en partie de la pure fantaisie : j'avais quatorze, peut-être quinze ans, et M. et Mme Clark étaient des adultes incroyablement sophistiqués. Ils étaient très bien habillés, mais ils avaient très peu de meubles. Ils laissaient leur téléphone par terre, ce qui semblait presque impossiblement bohème. Ils avaient un chat blanc, le top model du monde félin, le genre de chat qu'on pouvait voir sur les emballages de nourriture pour chats haut de gamme ou dans une brochure sur papier glacé chez le vétérinaire, mais pas chez n'importe qui. Ils avaient du temps libre ; ils n'étaient pas pressés ; ils s'arrêtaient dans cette lumière de l'après-midi et leur pause durait une éternité. L'ombre sur le livre, la lumière dans les pétales de lys : ces choses avaient été rendues immuables par l'art du peintre, mais il me semblait qu'elles étaient aussi apaisées par la pure et glorieuse indolence de ce couple central. Mais j'avais aussi le sentiment que leur vie, au-delà de cet instant figé, pourrait être troublée. Ils regardent le peintre, le spectateur, avec calme, mais aussi avec une pointe de défi, comme s'ils s'attendaient à une critique du regard extérieur. Non ! avais-je envie de dire. Tu es parfait. Laisse-moi entrer.

Mais cette paix, cette lumière et ce calme restaient plus puissants que toute trace de trouble. Le tableau m'emplissait encore d'un désir très doux.

Des années plus tard, alors que j'étais en troisième cycle en littérature anglaise, je me suis retrouvé face à face avec M. et Mme Clark et Percy. Une autre reproduction, une grande affiche encadrée celle-ci, était accrochée dans la salle de séminaire où se déroulaient la plupart de mes cours. Une fois de plus, j'étais fasciné. Pendant d'innombrables cours, pendant plus de deux ans, je m'asseyais du côté de la table qui faisait face à l'affiche et me laissais emporter par le tableau, mes rêveries se mêlant à des discussions de poésie, de romans, de pièces de théâtre. Je suivais du regard chaque élément blanc (fleurs, balcon, chat, téléphone), puis chaque touche de couleur (livre jaune, pochette rose, pantalon vert), puis je laissais mon attention se fondre dans le beige chaud de la pièce. J'étais plus âgé à ce stade. Maintenant, en regardant le couple au centre du tableau, je savais (ou du moins je croyais savoir) que M. et Mme Clark ne resteraient pas longtemps immobiles. Ce moment de paix dans cette pièce mi-ombre, mi-ronde serait brisé par la défiance, la douleur qui se lisaient sur leurs visages. Mais cette paix, cette lumière et ce calme restaient plus puissants que toute trace de trouble. Le tableau me remplissait encore d'une douce nostalgie. Le regarder me donnait encore la sensation, légèrement étourdie, que j'allais traverser le cadre, où je sentirais enfin le tapis, sentirais le parfum des lys, ouvrirais – juste un instant, juste pour voir à l'intérieur – le livre jaune.

Depuis, j'ai vu le tableau en personne, deux fois. J'ai côtoyé d'autres visiteurs du musée qui, comme moi, voulaient contempler sans cesse les parties lumineuses, les parties blanches et le tapis. Un après-midi, au début de la pandémie, cherchant encore à percer le mystère du pouvoir qu'exerçait le tableau sur moi, j'ai lu tout ce que je pouvais trouver à son sujet. Je sais que M. et Mme Clark ont ​​divorcé. Je sais que le chat ne s'appelait pas Percy. Pire encore, je sais ce que moi, lycéen, j'ignorais : c'est un tableau extrêmement célèbre que d'autres trouvent saisissant, beau, troublant, triste. Ce n'est pas, comme je l'ai longtemps pensé, mon secret. Mais c'est toujours la pièce de mes rêves. J'ai aujourd'hui laissé tant de pièces derrière moi. Celle du tableau est, d'une certaine manière, plus réelle et plus durable que tous les lieux que j'ai vécus et quittés. C'est une pièce où je peux retourner, flâner, et presque toucher.

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